Comment Uber s'est introduit en France avec la complicité de nos décideurs
Rapport de la Commission parlementaire sur les Uberfiles (1ère partie)

Le rapport de la commission parlementaire sur les Uberfiles paru le 18 juillet 2023, nous dévoile les méthodes agressives et illégales d’Uber pour investir de nouveaux marchés au détriment des législations locales et des travailleurs. Pour arriver à ses fins, Uber n’hésite pas à manipuler l’opinion publique locale ainsi qu’à instaurer des proximités fortes avec les décideurs civils et politiques des pays ciblés. En 4 ans, Uber va s’imposer sur le marché et dans les coulisses du pouvoir français.

Contexte de la création de la commission d’enquête, petit retour en arrière.
En juillet 2022, l’ancien lobbyiste Europe d’Uber, Mark McGann transmet 124 000 documents recueillis, au quotidien britannique The Guardian qui les a partagés avec le Consortium International des journalistes d’investigation (ICIJ) dont font partie France Info ou Le Monde pour notre pays. Ces documents font état des pratiques du géant des plateformes VTC auprès des pays dans lesquels il souhaite s’implanter sous la férule de son PDG de l’époque Travis Kalanick.

Pour la France, ces documents mettent notamment en lumière les relations privilégiées entre Uber et le ministre de l’économie de l’époque Emmanuel Macron afin de faciliter l’activité du VTCIste dans notre pays malgré un code du travail protecteur.Rapidement, les parlementaires de l’opposition (Nupes et RN principalement), fraîchement élus, se saisissent de l’affaire et demandent une commission parlementaire sur le sujet. Pendant les six mois de travaux, 67 auditions et 120 personnes ont été entendues sur cette affaire dont Mark Mc Gann, l'ancien lobbyiste d'Uber. Le rapport de la députée NUPES Danielle Simonet a été approuvé par 12 parlementaires (NUPES et RN) sur 22, les députés de la majorité et LR s'étant abstenus.

Que doit-on retenir de la partie 2013 - 2017 du rapport parlementaire ?
Ce rapport permet trois éclairages intéressants : le modèle économique et de fonctionnement des plateformes numériques comme Uber mais également Délivroo, Staffme ou Mediflash pour le travail temporaire, l'agressivité des actions de pénétration des marchés et de lobby et enfin, la perméabilité de nos décideurs politiques face à ces méthodes.

Le fonctionnement des plateformes numériques dans la lignée d’Uber est assez simple même s’il n’est apparu qu'au début des années 2010. La mise en relation d’un besoin avec une offre : dans le cas d’Uber, un besoin de trajet avec une offre de chauffeur avec véhicule ; pour Médiflash, un besoin de personnel soignant avec un soignant disponible. La plateforme fait juste le lien entre les parties : aucun investissement dans les véhicules et encore moins dans les ressources humaines nécessaires. Les travailleurs de ces plateformes doivent acquérir un statut de travailleur indépendant et investir dans leur matériel. Ce système permet de “hacker” le secteur des Taxis (pas de licence) ou de l’Interim (moins de charges sociales) donc des prix plus attractifs pour les clients potentiels. La promesse du modèle : plus d’emploi et moins de chômage pour l’Etat et plus de revenus et de flexibilité pour les travailleurs, plus de services et moins cher pour les clients. Si les clients ont vu leurs promesses tenues, les travailleurs “indépendants” ont plutôt subi des rémunérations beaucoup plus basses qu’espérées liées aux tarifs tirés vers le bas, mais aussi des plannings subis et des systèmes de contrôle notamment via les notations et les feedbacks des clients. Quant au chômage, si une étude de l’Ifop de 2015 indiquait que 25% des VTC d’Uber étaient au chômage avant, la sociologue Sophie Bernard estime qu’Uber n’a fait que déplacer des emplois déjà précaires (mais salariés) vers des emplois tout aussi précaires (mais sans protections sociales). Ce qui est étonnant, c'est que malgré ce modèle d'affaire qui optimise les ressources humaines et matérielles, Uber n'est toujours pas rentable après 14 ans d'activité.

La pénétration agressive des marchés à conquérir et les méthodes de lobbying puissantes sont au cœur de la stratégie d’Uber lors de son arrivée en France mais également dans les autres pays investis. Pour être compétitif, Uber doit “libérer” le travail dans des pays où celui-ci est réglementé : se défaire des protections sociales du salariat mais aussi de l’indépendance tarifaire notamment des freelances. La stratégie appelée “pyramid of shit” comprend deux étapes :

1) imposer son mode de fonctionnement illégal quitte à en subir les conséquences juridiques en arguant de l'appétence des clients pour le service,

2) investir les décideurs politiques pour faire modifier les lois à leur avantage mais aussi manipuler l’opinion publique grâce à l’intermédiaire d’investisseurs influents (comme Bernard Arnault ou Xavier Niel), des universitaires reconnus (les économistes Augustin Landier et David Thesmar acceptent de fournir une étude dédiée à la création d'emploi du modèle Uber pour 100 000 euros) ou des médias (articles d’Istrat - spécialiste de l’e-réputation- prenant le parti d’Uber contre les société de taxis dans leurs articles) qu’importe les conséquences : grèves des taxis et agressions en France mais aussi des mort dénombrés au Mexique, Brésil et Afrique du sud avoue Mark McGann.

D’autres méthodes de contournement ont été révélées dans les Uberfiles comme l’ingénieux “Kill switch” qui permet de couper toute connexion au serveur américain pour entraver les perquisitions par la police en France mais aussi au Canada, en Belgique, à Hongkong par exemple; ou la rémunération des chauffeurs pour participer à des manifestations pro Uber montées de toute pièce.

La perméabilité de nos décideurs politiques face aux lobbys est désormais établie.La méthode est efficace, trouver des appuis dans les gouvernements des pays investis : Joe Biden, Benjamin Netanyahu, Neelie Krioes pour la commission européenne. En France, c’est le ministre de l’Economie de l’époque, Emmanuel Macron, qui sera approché en témoignent les 17 échanges découverts entre 2013 et 2017. Les intérêts convergents semblent faciles à trouver entre l’ancien signataire du rapport Attali de 2010 et le géant des plateformes : plein emploi, libéralisation des professions réglementées, numérisation de l’économie, croissance économique. Pourtant aucun rendez-vous ne sera consigné dans l’agenda ministériel, ce qui  impliquerait que les rencontres se sont faites à l’initiative du ministère de l’Economie. Pour la commission parlementaire, cette proximité explique en partie l'inefficacité des autorités publiques à restaurer l’Etat de droit face aux attaques d’Uber et la mise en place de réglementation plus favorable comme l’abaissement de 251h à 7h  la formation pour les VTCistes.
Les travaux de régulations législatives sur le sujet vont être soit annulées, comme la loi Thevenoud fortement amendée en faveur d’Uber, soit vont permettre à Uber d’assurer son emprise comme la loi Travail de 2016 qui rend plus difficile le recours des chauffeurs la requalification de leur contrat en salariat.

Alors que dans le reste du monde, une majorité d’Etat ou de villes légifère en faveur de la requalification des chauffeurs d’Uber en salariés : Californie, Londre, les Pays Bas, Confédération Hélvétique ou interdise l'exercice l’Uber : Italie, Hongrie, New Delhi, Genève; la France (via son Parlement) appuie le développement de la plateforme.

Pour finir, la commission parlementaire a mis en lumière la participation de Mark McGann dans la campagne présidentielle du candidat Macron, chargé des recherches de financement ou comment Uber fait un mécénat de compétence déguisé pour son meilleur allié dans le monde politique français.

Bien qu’Uber se défende d’avoir changé avec le départ de son PDG de l’époque Travis Kalanick, le rapport de la commission parlementaire met au grand jour un système illégal et de pression qui met à mal nos institutions et dénature notre organisation du travail entre monde salarial et indépendant à leur plus grand profit

Accès au Rapport de la commission parlementaire


Mark MacGann, le lanceur d'alerte des Uber Files (à gauche) avec Emmanuel Macron. (THE GUARDIAN)
Mark MacGann, le lanceur d'alerte des Uber Files (à gauche) avec Emmanuel Macron. (THE GUARDIAN) 








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