L'influence d'Uber dans notre législation, les conséquences et les propositions de la commission parlementaire
Rapport de la commission parlementaire (2nde partie)
La commission parlementaire sur les Uberfiles a permis de mettre à jour les positions des plateformes sur l’évolution du droit du travail en France et en Europe, parfois copier coller des souhaits du PDG Monde d’Uber, Dara Khosrowski et comment ce modèle a investi une partie de l’économie au prix d’une précarisation des travailleurs indépendants. Ces évolutions accélérées par les outils numériques sont des risques pour le statut d’indépendant que nous défendons chez Elanceo. C’est pourquoi, nous soutenons la proposition de directive européenne sur les travailleurs des plateformes.

Que nous dit le rapport parlementaire sur la période entre 2017 - 2022 ?
Dans le dernier article, nous nous sommes quittés lors de la campagne présidentielle de 2017 durant laquelle Mark McGann, récemment retiré de son poste de Lobbyiste en chef, accompagne le candidat Macron dans ses recherches de financement.

Le rapport nous apprend également que les relations entre Uber et Emmanuel Macron ne se sont pas arrêtées après l’installation durable d’Uber en France. Ce ne sont pas moins de 34 nouveaux échanges entre la présidence et Uber dévoilés dans les Uberfiles entre 2018 et 2022 (date des fuites de documents). De plus, on trouve de nouveaux liens entre le gouvernement et Uber en la personne d’Olivia Grégoire, directrice associée et surperviseuse d’Istrat qui avait fourni de faux articles pour améliorer l’e-réputation d’Uber. Olivia Grégoire, notre ministre déléguée chargée des TPE - PME, du commerce, de l’artisanat et du Tourisme depuis juillet 2022 est reconduite dans son ministère la semaine dernière.

Uber a encore besoin de l'appui du gouvernement car il va entrer dans la phase prud'homale de sa “Pyramid of shit”. L’objectif est alors d'empêcher toute requalification salariale nous apprend le rapport parlementaire. Pour ce faire, Entre 2019 et 2021, Uber va investir plus de 900k€ par an (plus d’un millions d’euros par an sur 2020 & 2021, sources HATVP), qui vont aboutir à 3 outils successifs :
➖ La charte sociale, l’article législatif ayant été co-rédigé par Uber selon les documents recueillis. permettent aux plateformes de mettre en place en place des droits et des devoirs dans leur relation avec les travailleurs indépendants en échange d’une impossibilité de requalification en salariat par le juge. Finalement, cette partie sera censurée par le Conseil Constitutionnel. Il n’en reste pas moins que les plateformes ne négocient pas les chartes sociales, elles les imposent.
➖ La mission “Frouin” qui doit structurer le dialogue social en conservant le statut d’indépendant M. Jean-Yves Frouin a pu le confirmer à la commission d’enquête : « Nous nous sommes posé la question de savoir s’il n’était pas opportun de reconnaître le statut de salariés à l’ensemble des travailleurs des plateformes. Nous avons considéré que cela pouvait présenter des avantages mais nous n’avons pas donné suite dans la mesure où il ne s’agissait pas de l’esprit de la mission qui nous avait été confiée par les pouvoirs publics ».
Cette mission débouchera sur la création de l’ARPE (Autorité des Relations sociales des Plateformes d’Emploi) en 2021. L’indépendance et la représentativité de l’ARPE peut être remise en doute par son président Bruno METTLING (Soupçon avéré de copinage entre l’ARPE et UBER ) et le faible taux de participation des travailleurs (1.83% des suffrages exprimés sur le collège travailleur). Enfin, l'ARPE ne retient que les travailleurs VTCistes et livreurs comme travailleurs des plateformes, les autres professions minoritaires ne sont pas prévues dans les statuts. Un chauffeur témoigne sur le fait que l’ARPE interdit de discuter des conditions tarifaires ou des aspects disciplinaires en contrepartie de nouveaux droits sociaux. Cette politique est appuyée par le gouvernement comme le confirme le témoignage d'Olivier Dussopt devant la commission : “L’objectif de la concertation est d’élaborer des droits et d’assurer le développement économique du secteur, sans remettre en cause les statuts existants”. Donc une volonté d’aller vers une position hybride pour éviter le statut de salariat.

Lors des recherches de la commission au ministère du Travail, les enquêteurs ont découvert des projets d’amendements transmis par Uber pour le Gouvernement au sujet de la proposition de directive européenne relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme. Uber prône les principes suivants :
➡️Proposition de dialogue social plutôt que clarification des statuts.Accorder des droits plutôt que des statuts.
➡️Présomption d’indépendance plutôt que présomption de salariat.
➡️Charge de la preuve de présomption de salariat à la charge du travailleur.
Ces positions ont été confirmées lors des auditions par Elisabeth Borne et Olivier Dussopt auprès de la commission et expliquent l’opposition de la France à la proposition de directive européenne sur la présomption salariale.

Quelles sont les conséquences du modèle “Uber” pour les travailleurs indépendants ?
Le modèle et les actions d’Uber dépassent le monde des VTC et des livreurs, car dans l’ombre, d’autres secteurs d’activités se sont “ubériser”, reprenant les méthodes d’illégalités, de fraudes fiscales et de salariat déguisé via des plateformes algorithmiques : les infirmières, les aides soignantes, les services à la personne, les informaticiens, les formateurs, les consultants, coach…
Les 5 caractéristiques du “management” algorithmique (puisque nous parlons de l’activité de travailleurs indépendants) sont les suivantes selon le rapport du sénateur Pascal Savoldelli :
1. la surveillance constante du comportement des travailleurs ;
2.l’évaluation permanente de leurs performances via les évaluations clients et le taux d’acceptation ou de rejet des tâches ;
3.l’application automatique des décisions sans intervention humaine (ndr: planning, tarif par exemple);
4.l’interaction des travailleurs avec un système et non d’autres êtres humains, ce qui les prive de la possibilité de faire part de leur ressenti ou de négocier avec un responsable ;
5.la faible transparence étant donné la nature évolutive des algorithmes et des pratiques concurrentielles des firmes qui refusent de communiquer toute information sur leur fonctionnement.”
Des caractéristiques qui laissent peu de place à l’indépendances des travailleurs.


La commission parlementaire a permis de répondre à la question soulevée par Cédric O, alors Secrétaire d’Etat au numérique en 2022 : Non, l’implantation d’Uber n’a pas été une bonne chose socialement (précarité) ni économiquement (fraude fiscale et sociale) !

Quels impacts pour notre secteur d’activité et notre statut de freelance ?

Uma Rani, chercheuse à l’Organisation internationale du travail l’explique à la commission :
“Je considère pour ma part que l’ubérisation correspond à une précarisation des conditions de travail. […] Lorsque ces plateformes vantent le fait que chacun puisse être son propre employeur et soit maître de son temps et de ses horaires, elles attirent de nombreuses personnes. Mais en réalité, après que la personne s’est inscrite, elle n’a aucun contrôle sur son travail ou sur son temps. Elle est dépendante de la plateforme et de la réputation qu’elle y acquiert.”

Alors pourquoi le sujet nous intéresse autant puisque que nous agissons loin du salariat ?
Car notre raison d’être en tant que société à mission est de “Permettre aux freelances d’être libres prospères et impactants” et le modèle Uber par définition souhaite limiter la liberté et la prospérité des indépendants.
Parce que nous sommes extrêmement attachés au statut d’indépendant dans le sens le plus strict :
➡️indépendant dans sa politique tarifaire
➡️indépendant dans la gestion de son temps
➡️indépendant dans le choix de ses clients
➡️indépendant dans son code de conduite personnel
➡️indépendant dans l’accomplissement de sa mission
Et dans ce cadre, nous trouvons important de relayer les informations de ce rapport parlementaire éclairant sur les méthodes des plateformes d’emploi pour alerter les indépendants.
Nous nous engageons également pour la mise en place de toute réglementation qui pourra éviter à nos indépendants de tomber dans du salariat déguisé : les contraintes du salariat (les critères de présomption de salariat) et tout en gardant les risques liés à l’indépendance (protection sociale, risque financier).

Quelles propositions de la commission pour demain ?
Le travail de la commission a permi de dégager 47 propositions dont certaines nous semblent très intéressantes :
📌Instaurer une présomption réfragable de salariat pour les travailleurs des plateformes (proposition n°33) : Le combat d’Elanceo au niveau européen;
📌Créer une autorité indépendante ou une mission interministérielle afin de délivrer sous condition un agrément à toute plateforme afin de vérifier qu’elle respecte bien l’ensemble de la réglementation (proposition n° 36);
📌Renforcer les moyens des services publics chargés de contrôler et de sanctionner les plateformes en cas de violation de la loi pour augmenter le nombre de contrôles et les rendre plus performants (proposition n° 19);
📌S’agissant des représentants d’intérêts, supprimer le critère de l’initiative pour imposer aux représentants d’intérêts de déclarer leur contacts avec les décideurs publics même s’ils n’en sont pas à l’initiative (proposition n° 2)
📌Imposer la publicité des agendas des députés, sénateurs et membres du Gouvernement en indiquant le nom de l’organisation, l’objet de la rencontre et si des propositions de modifications de textes ont été transmises par l’organisation (proposition n° 11)
📌Créer une plateforme pour permettre aux citoyens, associations, syndicats, ONG et aux lobbys de rendre publics leurs amendements (proposition n° 12)
📌Garantir un débat suivi d’un vote au sein du Parlement sur la position défendue par la France relative à la proposition de directive européenne visant à l’instauration d’une présomption de salariat (proposition n° 47)

Grâce au travail de la commission, nous savons désormais que le gouvernement est plus que jamais lié avec Uber et le modèle de précarisation des emplois qu’il souhaite imposer, lui et les autres plateformes dans son sillage. Pour un grand nombre des travailleurs de ces plateformes, le salariat permettrait de sécuriser leurs emplois et leur protection sociale. Les impacts du modèle des plateformes pour les indépendants avec lesquels nous travaillons, est une perte de leur autonomie, raison d’être de leur statut. Cela nous questionne sur la recherche de l’intérêt général pour les pouvoirs publics français. En cela, certaines propositions autour du débat public sur la directive européenne et le renforcement de la transparence des relations entre les élus et les lobbys nous semblent pertinentes.

Accès au rapport de la commission parlementaire

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Comment Uber s'est introduit en France avec la complicité de nos décideurs
Rapport de la Commission parlementaire sur les Uberfiles (1ère partie)